L’actuelle crise débouche, en France, sur une évidence : les Services Publics assurent, seuls, la cohésion de la Nation. Les soignants, ces "zéros" dont on n’écoute guère les cris d’alarme depuis des années (EHPAD, hôpitaux...) sont d’un coup promus héros. 1,15 million de profs, de chez eux et avec leur propre matériel, assurent une "continuité" d’apprentissages (?) auprès de plus de 15 millions d’élèves et étudiants confinés. Trains sanitaires, hôpitaux militaires... Tout, absolument tout, repose sur les Fonctions Publiques.
De même que l’actuel système français de retraites avait protégé les pensionnés du crack financier de 2008, les Services Publics pourtant si mal traités depuis plus de 20 ans, restent suffisamment efficients pour parer à l’extrême urgence. Ou plutôt, la mobilisation immédiate et l’implication désintéressée des fonctionnaires rend possible, malgré toutes les carences en main d’œuvre, en crédits, en matériel, un branle bas inédit. Ce n’est pas rien : le dévouement, l’implication d’un fonctionnaire est inhérent à sa qualité d’employé de l’Etat. On renoue ici avec de la philosophie : l’éthique vis à vis de la mission qui nous est confiée ne peut être de même nature chez un contractuel ou un vacataire... sauf sur la base du volontariat.
Pas d’auto satisfecit déplacé dans ces propos. Quand la FSU, il y a deux ans, fait de la phrase "Fiers d’être fonctionnaires !" son slogan phare, c’est bien parce qu’elle a conscience de cette richesse humaine et institutionnelle que nous représentons, nous, fonctionnaires. Nous sommes un atout pour le pays, non un coût. Voyez l’Italie, que rien ne prédisposait à être promue 2nde au classement des pays les plus "atteints" par l’épidémie. Sauf peut-être du fait de la déficience de son système de santé, mis à mal, privatisé en grande partie, incessamment depuis les réformes Berlusconi de la fin des années 90... "Atteint" et "touché" n’a pas le même sens en les circonstances actuelles... Voyez aussi l’Allemagne, qui propose un dépistage gratuit à tous ses concitoyens alors que le même test, au USA, revient à celui qui le passe 3 270 $ (près d’un mois de salaire "moyen")... En France, le test reste encore marginal. C’est souvent dans les périodes de crise que se révèlent les caractéristiques des sociétés humaines...
Cette crise démontre aussi des failles béantes : le "grand déménagement du Monde" nous a rendu dépendants de l’industrie asiatique. Plusieurs alertes récentes concernant la pénurie de certains médicaments en France avaient déjà pointé ce "dysfonctionnement". Aujourd’hui, il en va jusqu’à la fabrication de masques ! Avec des épisodes hallucinants : le gouvernement tchèque a tout bonnement volé la cargaison de masques chinois destinée à l’Italie à l’occasion d’une escale de l’avion à Prague ! Avec, en France des interrogations sur la gestion des stocks par l’Etat, drastiquement réduits ces dernières années : économies obligent... Début 2009, on disposait de 773 millions de masques, alors que la réserve, début 2020, était quasiment nulle... Or, le besoin actuel se chiffre à 40 millions de masques par semaine, rien que pour les soignants. La France n’en produit plus , et péniblement, que 8 millions...
Autre faille : comment nous gouvernants gèrent-ils cette crise ? Dans l’urgence et à la mode guerrière (que penser de la dernière allocution du Président, le 25 courant, de nuit, devant une tente militaire, avec un vocabulaire dans le ton ?). Comment, par exemple, envisagent-ils la sortie du confinement ? Par exemple : allons-nous, à une date jugée opportune, regagner nos classes sans que nous fassions et que nos élèves fassent l’objet d’un dépistage ? (besoin : 17 millions de tests...) Ne s’expose t-on pas , en autorisant les regroupements (classes, amphis...) à un "rebond" de l’épidémie, à l’image - il faut malheureusement le rappeler - des phases successives de la grippe dite espagnole il y a un siècle ? Le gouvernement n’a pas exclu des nationalisations. Mais dans son esprit, tout libéral, il s’agit de "sauver" des entreprises de la faillite. Est-ce bien le but d’une nationalisation que de sociabiliser les pertes ?
Le 11 juillet 1792, l’Assemblée Nationale proclame la patrie en danger. Environ 200 000 hommes se portent volontaires pour contrer militairement la coalition des monarchies européennes liguées contre la France. Aligner des soldats, c’est bien ; encore faut-il qu’ils soient armés et disposent d’une quantité suffisante de munitions. Que fit l’état ? Réquisition des manufactures d’armes et de projectiles, monopole d’achat par l’Etat à prix fixé, collecte de salpêtre par un appel à tous les Français à le ramasser dans leurs caves (et oui !), maintien d’une cloche unique par commune pour disposer de bronze, etc... Comment, en mars 2020, l’Etat s’implique t’il pour la production massive de tests, alors qu’on n’en dispose à ce jour que de 30 000 par semaine ? Comment organise t-il, grâce au réseau industriel national, la production de respirateurs, de masques, autant que de besoin ? Voyons nous à ce jour se dessiner une stratégie volontariste en ce sens ? Il est vrai que le commerce - toujours lui - va résoudre la chose : 1 milliard de masques commandés à la Chine, livrables sur 14 semaines. Sans nul doute : les chinois peuvent et savent le faire tout simplement parce qu’ils sont plus nombreux que nous...
Il ne fait par ailleurs aucun doute que cette crise aura, à court terme, des conséquences économiques et sociales désastreuses. Les bourses mondiales ont déjà dévissé de 30 %. Le Covid 19 a bon dos : depuis 18 mois, on savait les "marchés" dans le rouge, à un degré supérieur à celui de 2008. La bulle n’attendait qu’une aiguille pour dégonfler. Le Gouvernement, comme ceux de nos voisins, a mis 300 milliards (potentiels) sur la table : aider et sauver avant tout les PME et TPME. Fort bien, c’est nécessaire. Mais combien de salariés - les intérimaires notamment - sont là, tout de suite, sans plus aucune ressource ? Que penser de la loi sur l’urgence sanitaire autorisant des semaines de 60 h pour certaines catégories de salariés ? On ne sait que trop qu’un corps affaibli et fatigué renforce ses défenses immunitaires... Ainsi, la logique, historiquement maintes fois vérifiée, de régression des acquis sociaux en période de crise (et cette fois, aubaine, tout le monde est confiné !) est-elle une nouvelle fois à l’œuvre. L’aspect "provisoire" ne doit tromper personne, de l’aveu même du président des députés LREM. Et puis il y a un précédent récent : les dispositions de l’état d’urgence (policier, suite aux attentats) passées dans le "droit commun"... Au delà, donc, la sortie de crise pour nombre de Français sera catastrophique. Ne conviendrait-il pas, là aussi, d’anticiper... "autrement" ?
Il ne s’agit pas ici de tirer sur une ambulance. Après tout, "ils font ce qu’ils peuvent"... Dans ce verbe "pouvoir", il existe toujours et pourtant différentes options. Celles actuellement mises en avant sont conformes en tous points au dogme libéral. Qu’on songe par exemple, et plus proche de nous, à notre Ministre de l’Education. A l’entendre, dès la fermeture des classes, tout était prêt pour qu’informatiquement le relai soit pris. Dans son esprit, son ministère avait fait son boulot : les outils étaient opérationnels. On sait ce qu’il en est... Quant aux petites mains de l’ombre - les enseignants - (qui, en ce moment "ne travaillent pas" dixit la porte parole du gouvernement, le 24 dernier), c’était leur affaire. Le degré de leur équipement individuel, leur maîtrise de ces outils, c’était leur affaire. Disposer d’un outil est une chose. L’alimenter en est une autre.
Jamais n’a été posé le fait qu’un "enseignement à distance" n’a rien à voir avec un fonctionnement de classe mais quoi d’étonnant ? Quand, à l’interne, avons nous bénéficié de formation allant au delà de la mise en place d’un cahier de texte via l’ENT, que toutes les écoles sont loin d’utiliser ? La formation ? Parlons-en : depuis plusieurs années, notre propre formation continue a préparé le terrain ; à quoi bon le "présentiel" quand on fait aussi bien - naturellement ! - en ligne ? Une vision technocratique toute empreinte du "cyber savoir" décrété aussi "efficient" qu’un cours. Le tout, sans jamais s’interroger sur les contenus, la formation de ceux qui les produisent, les outils et ressources qu’on met à leur disposition pour ce faire, les conditions dans lesquelles ils le font, la spécificité et l’adaptation des supports transmis, les approches pédagogiques à développer dans ces supports "inédits". Le tout sans évoquer a priori la ou les fractures numériques, les inégalités familiales devant l’accès ou la dotation informatique, conduisant notre ministre à proférer a postériori des injonctions contraires au confinement général : allez à la rencontre des familles dépourvues d’outils informatiques ...
L’ensemble de ces remarques devraient conduire, en toute logique, à un profond questionnement sur et dans "l’après-crise". Son caractère encore une fois inédit interroge l’existant et il nous appartient de ne pas nous laisser dessaisir des inévitables débats qui vont suivre. Dans notre champs professionnel, on entrevoit depuis quelques mois une volonté ministérielle de refonte de notre métier assortie d’une fragilisation - pour le moins - de notre statut. L’investissement dont nous faisons preuve en ce moment ne contredit-il pas ces desseins ?
Pour conclure, et sur un terrain bien plus "large". L’épidémie actuelle a été précédée, elle aussi, d’alertes ces dernières années, heureusement plus limitées : H1N1, SRAS, Ebola... Comment interpréter ces menaces réitérées ? Nous ne prétendons, pas, au SNUipp-FSU, avoir de réponse mais, alors que l’écologie fait une percée remarquée sur la scène politique un peu partout dans le Monde et particulièrement en Europe, entendre la voix de spécialistes peut éclairer sur les causes (et aussi les enjeux) de ces apparitions récurrentes de menaces virales pour les humains. Ainsi, par exemple, le biologiste américain Rob Wallace a été interrogé le 13 mars au sujet du Covid 19. L’intégrale de l’interview est visible ici :
https://acta.zone/agrobusiness-epidemie-dou-vient-le-coronavirus-entretien-avec-rob-wallace/
Quelques extraits ci-dessous, qui contribuent à éclairer la prise de position de notre organisation syndicale, avec 17 autres, intitulée " Jour d’après : pour un futur écologique, féministe et social", à retrouver ici : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/tribune-plus-jamais-ca-18responsables-d-organisations-syndicales-associatives-et-environnementales-appellent-a-preparer-le-jour-dapres_3886345.html
Christian Cam, le 30 mars 2020