C’est le 22 juin que la proposition de loi Rilhac sur les directeurs d’école sera étudiée par l’Assemblée nationale. Pour un texte déposé le 12 mai, c’est une accélération record. Soutenue par tout le groupe LREM, la proposition de loi bénéficie aussi de l’appui du ministre de l’Education nationale, par ailleurs engagé dans une concertation sociale sur le métier de directeur. Si le texte contient quelques avancées matérielles pour des directeurs d’école qui en ont bien besoin, s’il abandonne l’idée de confier les écoles aux principaux de collèges ou de créer un corps de directeurs d’école, la proposition de loi veut créer des emplois fonctionnels de directeurs d’école. C’est une autre façon d’installer une hiérarchie dans les écoles.
Analyse du SNUipp 30 :
Tel l’arapède sur son rocher ou le pou sur son cheveu, certaines idées collent au cerveau de plusieurs députés et ministres, depuis plus de 30 ans : le directeur, pair parmi ses pairs, sans autorité juridique ni hiérarchique doit absolument...ne pas demeurer ce qu’il est ! Tout aura été tenté : le promouvoir "maître directeur" (Ministre Monory, 1986), le doter d’un statut (EPEP et autres réseaux d’écoles, à différentes dates, depuis 2000), le subordonner à un principal de collège (dès 2004 et, tout récemment, avec Blanquer, les EPLESF en 2019)...
Mme Cécile Rilhac, député LREM -qui s’était vue confier une mission sur le sujet, rendue publique à l’été 2018 - préconisait alors le dernier avatar de ce feuilleton. Notre actuel ministre, qui jurait jadis qu’il ne légiférerait point sur l’école lors de son mandat, le fit toutefois : "l’école de la confiance"... Et c’est donc en toute confiance que, le texte initial du projet de loi ne contenant rien sur la direction d’école, Mme Rilhac fut (encore) missionnée pour introduire un amendement lors des débats à l’Assemblée, dans la veine que susdite. Tollé partout, organisations syndicales certes mais aussi élus locaux et sénateurs. Amendement retoqué.
Ce 12 mai 2020 (le jour de la reprise des cours de nos élèves, tout un symbole...), revoilà Mme Rilhac avec un "nouveau" projet de loi. Et sur quoi je vous prie ? Ce directeur qui ne peut décidément pas rester ce qu’il est... Bon : il fallait du nouveau, un an après l’échec de l’amendement. La nouvelle approche est d’utiliser une possibilité créée en 2009-2010, nommée "GRAF" : détacher le directeur du corps des P.E et faire de son poste un "emploi fonctionnel". Pour faire court, c’est un "poste à profil à durée limitée" (pour mémoire, lors du dernier mouvement dans le Gard, tous les postes de directeurs entièrement déchargés vacants ont été dotés après entretien individuel, donc "profil". Et ce sera ainsi pour les prochains.) à la différence près que le fonctionnaire est détaché de son corps d’origine, qu’il est nommé par l’IA-DSDEN et qu’il est rémunéré selon une grille spécifique. Vous voici rassurés : seul un malveillant y verrait se profiler un statut...
Les députés LREM - on l’a vu avec le texte sur les retraites - sont adeptes des textes à trous, comme l’est le gruyère parmi les fromages. L’avantage de ces vides dans les lois qui, en l’occurrence, pourraient s’appeler "aubaines", est qu’ils sont conçus pour être comblés postérieurement au vote du texte. Remplir un trou dans une loi porte, selon le mode adopté, le nom de "décret" ou "arrêté". Le propre de ces deux vocables étant qu’ils échappent à toute concertation et tout débat démocratique et émanent généralement de la cuisse des seuls ministres. En toute confiance, cela va sans dire, puisque nous sommes sous ce régime.
Le "nouveau" projet de Mme Rilhac n’échappe pas à cette "gap mania" : Comment est établie la liste d’aptitude de ces futurs directeurs ? Décret. Quelles responsabilités a ce directeur et comment est-il évalué ? Décret. Quelles sont les modalités de son avancement ? Décret. Dans chaque DSDEN est créé un "référent direction d’école". Quels sont ses missions et son mode de recrutement ? Décret. Bon, alors qu’apprend-on dans ce projet où de telles béances - et non des moindres - sont organisées ?
De "donneur d’avis" en conseil d’école, il "entérine" ce qu’il s’y dit et, de fait, devient décisionnaire. Il devient "administrateur" de l’école et "délégataire de l’autorité académique", il "pilote" le projet pédagogique. Art. 2, titre 4 (pesez bien chaque terme employé) : "Dans les écoles de 8 classes et plus, le directeur n’est pas chargé de classe. Il participe à l’encadrement du système éducatif et aux actions d’éducation et peut donc se voir confier d’autres fonctions concourant à l’exécution du service public d’éducation. En fonction de la feuille de route définissant l’emploi fonctionnel, il peut être chargé de missions d’enseignement, d’accompagnement, de formation ou de coordination, lorsque sa mission de direction n’est pas à temps plein."
Le titre 1 de l’art. 4 ajoute : "Le directeur d’école mentionné à l’article L. 4111 du code de l’éducation peut cumuler la responsabilité de l’organisation du temps périscolaire confiée par la commune ou le groupement de communes dont relève l’école dans le cadre d’une contractualisation entre la collectivité territoriale et l’administration de l’éducation nationale sous réserve de l’accord du directeur d’école concerné."
Résumons : nommé par l’IA - qui est assisté d’un "référent direction"- dans un vivier dont les contours restent à définir, notre "administrateur" aura une "feuille de route" interne (elle aussi définie en haut lieu) et éventuellement étendue au périscolaire (ça sent Claude Allègre, pour les plus jeunes d’entre nous...mais aussi les toutes récentes déclarations de JM Blanquer concernant le dispositif 2S2C...). L’essence même de l’emploi fonctionnel est "la relation de confiance" (on y revient !) avec la hiérarchie. Non, décidément, pas l’ombre d’un "statut" là derrière et aucune volonté de caporalisation de l’école et des enseignants.
Sous couvert de donner une personnalité "juridico / administrative" à demi avouée (le reste viendra par décret, vous l’avais-je précisé ?) en faisant toujours mine de répondre à une revendication des actuels directeurs (qui n’en ont jamais demandé tant...), se profile la mise au pas de l’école, de la liberté pédagogique des enseignants. Gageons - mais c’est de la chiromancie, évidemment - que la notation administrative des adjoints ne saurait tarder, une fois un tel cadre créé. A l’égal de ce que font les principaux de collège. Non décidément, au SNUipp-FSU, on continue de s’opposer à cette tendance managériale qui a tellement bien fait ses preuves chez Orange ou à la Poste.
Est-ce là la seule réponse de LREM au suicide de Christine Renon. " C’est un peu court, jeune homme !". C’est surtout s’asseoir sur ce que réclame la profession : du temps, des moyens et une juste reconnaissance salariale.
Christian Cam, le 23 mai 2020
Pour aller plus loin : voir les annexes ci-dessous.
Annexe 1 : Le projet de loi :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2951_proposition-loi
Annexe 2 : Qu’est-ce qu’un emploi fonctionnel :
Les emplois fonctionnels, nombreux dans la fonction publique de l’Etat, mis en œuvre dans la territoriale en 1984 et dans l’hospitalier en 2005 sont des emplois pouvant être créés et ayant pour effet une mise en position de détachement de l’agent de son grade sur cet emploi, de façon temporaire.
La fonctionnalité de l’emploi permet aux exécutifs (1er Ministre, Maire, Président, Directeur d’Etablissement...) d’instaurer une relation de confiance en raison des conditions dans lesquelles peuvent être mis fin aux fonctions sur emploi fonctionnel de l’agent.
Les conditions de nomination sur emploi fonctionnel sont régies par voie de décret pour chacun des emplois, et les agents sont nommés de façon discrétionnaire.
Les emplois fonctionnels ne sont accessibles que pour certains grades désignés dans le décret d’application.
TYPES D’EMPLOI ET NOMINATION
Les emplois fonctionnels concernent principalement des emplois d’encadrement supérieur mais peut également concerner les emplois d’expert de haut niveau, de directeur de projet, de coordination.
Par ailleurs, l’emploi fonctionnel peut concerner des grades ou des échelons à accès fonctionnel, à l’image de la récente réforme du statut des administrateurs pour la création du GRAF-Grade à accès fonctionnel d’administrateur général.
Le poste doit dans un premier être créé dans le tableau des effectifs (Loi de finances pour l’Etat).
La nomination doit être précédée d’une demande de détachement par l’agent. Cette demande est soumise pour avis à la CAP-commission administrative paritaire. La nomination fait ensuite l’objet d’un arrêté individuel procédant au détachement sur l’emploi fonctionnel, fixant la durée (maximum de 5 ans renouvelable) et précisant les dispositions complémentaires prévues par la décision de création du poste.
REMUNERATION
L’emploi fonctionnel perçoit un traitement de base sur une échelle indiciaire spécifique et déterminée par voie de décret ou d’arrêté ministériel.
Plusieurs primes peuvent être octroyées à l’agent.
Une NBI-Nouvelle bonification indiciaire est également attribuée.
Annexe 3 : Emplois fonctionnels actuels dans l’Education Nationale :
Agent comptable d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel-EPCSCP
Délégué régional du CNRS
Directeur académique des services départementaux DASEN
Directeur, Directeur adjoint de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP)
Directeur, Directeur adjoint du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS)
Directeur de centre régional des oeuvres universitaires et scolaires CROUS
Directeur général, Directeur du Centre national de documentation pédagogique (CNDP)
Directeur de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP)
Directeur du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ)
Directeur du Centre international d’études pédagogiques (CIEP)
Inspecteur d’académie adjoint
Secrétaire général d’administration scolaire et universitaire (S.G.A.S.U.)
Secrétaire général d’établissement public à caractère administratif (ONISEP, C.N.D.P., CEREQ, CNED, C.I.E.P., I.N.R.P.)
Secrétaire général d’établissement public d’enseignement supérieur SGEPES
Lien vers les grilles indiciaires emplois fonctionnels MEN (Gr 1,2 et 3) : ICI