Pour vous les difficultés relevant de la combinatoire et du déchiffrage ne constituent qu’une partie de celles rencontrées par les élèves dans l’apprentissage de la lecture. N’est-ce pas nier l’importance de ce qui relève des mécanismes de base ? Non, car ces difficultés à utiliser le premier outil de base dans l’apprentissage de la lecture, à savoir le décodage, la capacité à traiter les éléments graphophoniques des mots existent bel et bien chez les mauvais lecteurs de 7 ans, sortant du CP. Cependant, il se superpose un deuxième type de difficulté d’une tout autre nature, que l’on a, en revanche, trop souvent tendance à ignorer. Il s’agit de celle qui est liée à la maîtrise du second outil de base, soit le traitement sémantique des énoncés écrits, Cela se manifeste, d’une part, par une incapacité à se servir du contexte linguistique d’un texte donné et donc, par exemple, à résoudre des exercices du type phrases à trous. Mais aussi, d’autre part, par la difficulté à repérer les groupes syntaxico-sémantiques, dits aussi groupes de sens.
Vous parlez de mauvais explorateurs-questionneurs, à quels mécanismes entrant en jeu dans l’apprentissage de la lecture cette notion renvoie-t-elle ? Cela correspond en effet à un type de difficulté autre que ceux liés aux outils de base : le « stratégique », autrement dit la compréhension de l’activité lecture. Les mauvais lecteurs réduisent souvent celle-ci au seul déchiffrage, ils se polarisent sur le mot. En revanche, la phrase et le texte, la recherche de sens demeurent des aspects qui leur échappent.
A quels autres obstacles ces élèves peuvent-ils encore se heurter ’ ? Une difficulté d’ordre culturel. Les mauvais lecteurs ont une vision très étroite du pourquoi lire, et des pratiques culturelles de l’écrit en général. Ils se cantonnent à une conception très utilitariste de la lecture. Ils oublient par conséquent qu’ elle leur permet d’ acquérir des connaissances, qu’elle peut s’exercer par le biais de journaux, ou d’ouvrages documentaires, Le concept de lecture intellectuelle leur est inconnu.
Les difficultés d’apprentissage de la lecture peuvent être mises en évidence dès l’entrée au CP. D’où viennent-elles ? En effet, 15% d’élèves, dès l’entrée au CP, à l’âge de 6 ans, éprouvent des difficultés d’apprentissage. Il faut dire que l’acquisition de la lecture commence dès 3 ans, si ce n’est avant : à cet âge, nombre d’enfants se font lire des histoires, sont en contact avec des personnes lettrées, que ce soit à la maison ou en section maternelle. D’un élève à l’autre, il existe donc des différences énormes dans la quantité et la qualité de ces expériences précoces de l’écrit. Certains arrivent au CP pour terminer leur apprentissage de la lecture. D’autres sont loin de tout ça ... On les repère parce qu’ils ont une connaissance faible de l’éventail des pratiques possibles de lecture et d’écriture, ainsi que des objets culturels de l’écrit. Ils ont également des difficultés à élaborer un projet personnel de lecteur. Par ailleurs, ils arrivent au CP en éprouvant des difficultés d’ordre linguistique. Ils n’ont pas encore intégré, notamment, le principe de base de notre système d’écriture, à savoir le principe alphabétique.
Quelles conclusions tirer dans les pratiques enseignantes de vos observations ? Concernant les enfants de 6 ans en difficulté, si on leur applique un traitement ordinaire, ils se retrouveront en situation d’échec à la fin du CP. Ils ont donc besoin d’une pédagogie plus riche, renforcée. Il faut intervenir en mettant en place un plus grand nombre d’activités de lecture et de production écrite, en créant de multiples occasions de rencontrer des écrits, des livres, des personnes lettrées : leur lire des histoires, dialoguer avec eux ... L’aide périscolaire, comme celle des « Coups de pouce CLE » (Club Lecture et Ecriture) que nous avons institué dans une centaine de villes en France, peut se révéler un complément fort utile. Pour aider les 7- 8 ans, il importe de repérer les différents types de difficultés rencontrés afin de travailler dans une perspective de prévention et de remédiation, œuvrer dans toutes les directions au lieu de se focaliser sur le seul apprentissage des mécanismes de base. Premièrement, il est nécessaire de proposer des exercices pour obtenir des bons déchiffreurs. Deuxièmement, il faut entraîner ces enfants à devenir des explorateurs de textes écrits en leur donnant des méthodes de lecture compréhension, des guides de lecture (poser des questions du style : ça parle de qui ? ça parle de quoi ? ça se passe où ?). Troisièmement, il faut les aider, par le dialogue notamment, à mieux comprendre ce qu’il faut faire pour lire. Dernière piste : les aider à y voir plus clair sur toutes les possibilités qu’offre le savoir lire, à découvrir et mieux comprendre la lecture écrite.
Propos recueillis par Carole Signes