Alors même que le SNUipp-FSU dresse un tableau calamiteux en 8 épisodes du quinquennat Macron/Blanquer (1), le candidat à sa réélection vient, à Poissy, de présenter son programme.
Pour l’Education Nationale, quel feu d’artifice (pour les retraites aussi...) ! Tout le sarkozysme concentré en quelques phrases, non sans tacler l’absentéisme de notre profession (2), un classique depuis des lustres alors que, partout, les moyens de remplacement s’amenuisent. Sarkozysme ? "Travailler plus pour gagner plus", ça vous parle ? Donc, ne gagnerons plus que ceux qui s’investiront dans des tâches supplémentaires. Méritocratie. Quid de la revalorisation générale ? Vous avez désormais la réponse.
Travailler plus... Enquêtes syndicales ET ministérielles s’accordent sur un travail hebdomadaire supérieur à 42 h chez les P.E. Et bien allons-y, mettons 3 h de plus (soit 10 h de plus que le temps de travail LEGAL) avec, en guise de remerciement, un départ à la retraite encore reculé de 3 ans. Chouette ! Déjà qu’à 62 ans, un PE ne peut partir à la retraite qu’avec une décote (vu son entrée tardive dans le métier, études obligent) car il ne peut atteindre les 43 annuités requises, on imagine bien ce que cela peut donner avec 45 ou 46 annuités ... Sur quelle planète vivent un Macron, une Pécresse ?
Feu d’artifice donc :
- Paye au mérite, on l’a dit. Seront augmentés ceux qui acceptent de nouvelles missions.
- Ce faisant, ça se décidera au niveau local. Décentralisation, donc. Si vous aviez vécu, comme moi, les "discussions" au rectorat de Montpellier pour ce système qui existe déjà pour les agents administratifs, vous seriez édifiés et... horrifiés.
- Les évaluations de CP, etc... rendues publiques, école par école. Là, on incite le parent d’élève à devenir juge de l’enseignant (e) de son enfant. On est dans le dur : ce n’est plus l’inspecteur qui vous évalue, mais la mère, le père de l’élève. Quid de toutes les données sociologiques concernant les familles, le quartier, les C.S.P ? Non : maintenant , l’enseignant (e) est seul(e) responsable de la réussite - bouc émissaire ? - de l’élève. Idée simpliste, chacun le sait. Blanquer et Macron non, visiblement.
- Chefs d’établissements et directeurs recruteurs des enseignants de leur école (suite à l’expérience en cours à Marseille, non évaluée). Fini le mouvement au barème ! Profilage de postes étendu, mais pas décrété par l’IA, par les directeurs (-trices) eux mêmes. Et bien, ça promet un sacré bazar ! Et du clientélisme, et de l’iniquité. Toutes choses dont on connait les désastres en Italie, suite aux réformes en ce sens de Berlusconi.
Je m’arrête aux mesures générales, car il y en a d’autres, notamment sur le lycée professionnel, tout aussi calamiteuses. Une est à pointer, quand même : la réintroduction des maths dans tous les cursus du lycée : P.I.S.A l’a montré, la France faisait fausse route. Une claque à Blanquer et sa réforme du lycée, échec annoncé par le SNES-FSU. Nous avions donc raison.
Au travers de ces propositions se joue ce qui est en œuvre depuis deux décennies : l’école-entreprise, tout à l’image des Libéraux qui la promeuvent. Comme si "travailler avec de l’humain" s’apparentait à fabriquer un mixeur à légumes. Les premiers états à l’avoir fait, sans surprise : U.S.A et Angleterre. Mais aussi la Suède, la Finlande. TOUS accusent une dérive perverse : la "culture du résultat" (aux évaluations) conduit les enseignants à délaisser le "programme" afin que leurs élèves soient performants aux évaluations. Car de cela dépend leur rémunération. Et on sait combien, déjà, la place (trop prégnante pour être honnête) des "évaluations" a pris dans notre métier, comme dans tout le système éducatif français.
Pour les libéraux comme Macron, évaluer c’est jauger l’enseignant(e). Savoir s’il est "compétant" ou pas. C’est évaluer l’école dans laquelle travaille cet enseignant. Si la misère coûte "un pognon de dingue", il revient à l’enseignant, seul et sans outils, sans appui, sans aide extérieure (la part des dépenses d’éducation sont passées de 7,7% du PIB à 7 % durant le quinquennat) de résoudre l’irrésoluble : colmater les brèches sociales de notre société.
Notre métier n’est pas celui-là. Nous avons une mission de coéducation avec les parents de l’élève.
Nous ne sommes pas des "évaluateurs" d’un "potentiel" mais des dis-penseurs de savoirs permettant à nos élèves de devenir instruits et citoyens. Si possible, instruits et éclairés, mais cela ne dépend pas que de nous. L ’approche macronienne est toute utilitariste. Je ne suis enseignant que pour éclairer, remettre en cause les idées reçues, développer, bref, construire un citoyen.
En 1562, à Poissy, eut lieu un colloque royal qui tenta de trouver une solution pour "le vivre ensemble" entre Catholiques et Protestants. En 2022, à Poissy, Macron déclare la guerre à l’Ecole Publique et aux enseignants. Si en son temps le colloque de Poissy échoua, gageons que, 460 ans plus tard, Macron échouera pareillement.
Christian Cam, le 18 mars 2022
(1) https://www.snuipp.fr/actualites/posts/bilanblanquer-episode-1-une-profession-abimee